Né dans la petite ville de Brigton. D’une mère trop absente et d’un père trop présent. Tombé dans une famille de la région. Prénommé d’après les étendues de forêt du parc national proche : Forest. Scolarité normale. Pourquoi choisir ensuite la voie de la médecine et plus précisément celle de la psychologie ? Contrairement à ce que tout le monde veut bien croire, il ne faut pas avoir de traumatismes étant enfant ou de profondes séquelles dans sa vie et pour vouloir comprendre la complexité de l’homme.
Forest a été élevé dans les mœurs de son époque mais déjà plus laxiste que la normale. Le vent de mai 69 a eu un impact sur lui, haut de ses 4 ans, mais plutôt comme une vision de ce que le chaos de la liberté peut apporter.
Son adolescence fut un bouleversement comme pour tout un chacun. Il a eu ses premiers coup de foudre, suivis par ses premiers écueils… et c’est là qu’il a compris que les valeurs de ses parents n’étaient pas les bonnes, trop rigoureuses, trop fatalistes. Il cherchera donc toujours le juste milieu entre ces chevelus plein de rêves passant devant chez lui dans leur van Scooby-Doo, et la sécurité réconfortante du foyer. Sans doute comme tout un chacun l’a fait en son temps donc, mais il y gagna ferveur plus poussée que la moyenne des mortels pour ce juste équilibre.

Cette notion d’équilibre ne le lâchera plus. Son ennui non plus. Sa vie ne lui plaisait pas, et bien qu’il s'est fait rejeter parce qu’il était jugé trop réservé, trop timide, en réalité il était juste trop indifférent à ceux qu’ils côtoyaient… Et malgré l’attirance charnelle, l’attirance de la mère qui n’a jamais été là pour toute la gente féminine de son âge.
Il se réfugia comme beaucoup, dans les livres. A coté des incroyables voyages qui mènent dans la tête des auteurs, il découvrit les grands philosophes et psychologues qui font voyager dans la tête de tout un chacun. C’est là qu’il reprit gout au mystère de la vie et de l’homme en général, et qu’il décida que son sort importait peu, trop complexe, trop ridicule à côté de ce jeu de connaissances, d’énigmes et de masques qui pouvait le ramener à la vie.
Il vécut ses premières années de fac’ au milieu des livres. Il se réinventait fils de prostituée, fils de notable, fils battu, roi, guignol, indifférent. Le dernier lui faisait le plus mal parce qu’il était trop vrai. C’est au milieu des livres dans lesquels il se perdait trop souvent que cette vie bascula avec lui. Littéralement.

Plus tard donc, alors qu’il révise en regardant par la fenêtre, à son habitude, il est projeté sans sommation contre la bibliothèque d’à coté, qui s’écroule dans un vieux craquement. Dans la cohue qui suit, il étouffe d’abord un juron, prépare une réplique cinglante, va faire feu… lorsqu’il la voit. Peu importe alors le vacarme, la punition, les cris, les vociférations. Il ne dit mot. Elle se confond en excuse à coté de lui. Il ne regarde qu’elle. Ne voit plus qu’elle. Plus que l’envie du mystère, la certitude de l’amour. Prenant tout le corps, tout l’esprit comme un raz de marée de pure émerveillement. Mais est-ce de l’amour ? Vraiment ? On dit souvent que quand on se pose la question, c’est généralement le cas… Voilà qu’il doute… mais seulement l’espace d’un battement de cils. Le sien. Elle l’a vu. Ils ont croisé leur regards. Et au-delà de la gêne des premières fois, au delà d'eux, cette force indomptable qui s’embrasa et qui était désormais la leurs... « When I saw her face… i’m a believer… » Et voilà qu'un refrain d’un autre âge vient accompagner le feu d’artifice de son être…
Pauvre équilibre, bien vacillant. Mais qu’importent les vieilles traditions que l’on impose à soit même. Leur passion fut belle, leur passion fut grande. De celles qui atteignent des sommets sans un mot. De celle qui se nourrissent de livres.

Mais arrive ce qui arrive quand tout se passe trop bien. La routine ? Elle ne fait qu’aggraver ceux qui s’oublient. Elle nous fait oublier, oublier celle que l’on aime, oublier notre amour de nous, celui de nos enfants. Bourgeons de vie un instant, bambins sans intérêt l’instant d’après. Femme brillante, femme au foyer sans prétention. Les gens s'enlisent si facilement dans la répétition et le confort... Et voilà que Forest fut seul. Seul au milieu d’une famille. Ayant perdu l’équilibre et l'amour, les deux choses qui le faisaient tenir sur ses pieds.

Arrivé à ce point, il savait qu’il ne lui fallait par grand-chose pour tout détruire. Et comme lorsqu’il était enfant, il se fit tous les scénarios attendus : mauvais traitements menant à des accidents, voire pire des meurtres ou des suicides… Qu’il tombe amoureux d’une autre femme ? D’une patiente ? Fort peu probable, au vu de sa déception envers le concept de désastre que ça a provoqué... mais qui sait ? Devenir fou lui-même ? Ne l’est-il pas déjà à voir sa vie volée en éclats alors qu’il pourrait la réparer…
Il entrevit la solution. Bien sûr la solution serait de reprendre gout à cette vie. De retrouver la passion dans les cas les plus énigmatiques, l’amour du foyer, la reconnaissance des coll…. et puis non, non et non. Tout son être se révulsa, lui hurla d’arrêter les frais. Non s'était-il dit.

Il s’en souvient encore aujourd'hui. Et le revoilà devant son miroir. Non. Plus de sentiments édulcorés. Non. Plus de patients complètement fou, ahuris, trop endommagé pour même vouloir qu’on les aide. Non. Plus de collègues. Non. Il regarda par la fenêtre, vit sa voiture, vit sa main trembler qui tenait ses clés. C’était un lundi. Une semaine encore ? Non. Il pleuvait. Plus de rendez-vous chez ses patients. Non. Il portait un bull bleu. Juste laid et passe partout. Des bottillons faits sur mesure. Un pantalon en velours. Un veston léger,… Enfin tout une panoplie de superflu. NON. Il se retourna et ne répondit pas au regard inquiet du parent du patient. Il prit une plume et écrivit deux trois phrases : du style, je vous ai aimé. Je vous laisse tout. Mon frère prendra soin de vous, il vous a toujours aimé. Dites à mon fils et ma fille que je les aime. Il ne les appela pas par leur prénom, Agissant comme s'il était hors du monde. Il demanda un majordome, lui demanda de livrer la lettre. Il se retourna vers le parent proche, qui le toisait de toute son aristocratie. Il lui dit « adieu ». Suicide ? Oh il y a pensé mais non. Devant le flot d’interrogations du dit Emile –il se souvint de son nom en cet instant. Puis le chassa comme le reste- il ne répondit que ces mots : « votre mère battait votre frère et abusait de vous, il n’a jamais voulu l’avouer mais il le savait. Votre père ne pouvait comprendre une telle chose et s’est suicidé » Pause. Silence dubitatif. Sourire de bienheureux du frère concerné. « C’est pourquoi votre frère ne parle plus, ne peut plus voir de liquide transparent, et ne regarde jamais les femmes dans les yeux. » Il remercia la servante d’être passée pour le mener sur cette piste dans sa tête, le balaya aussi vite de son esprit. Il avait du tact et de la finesse normalement. Mais cet Emile et toute cette vie qu’il représentait l’exaspérait viscéralement. Devant ces vociférations et le regard de doux rêveur du patient, sans doute drogué par le Emile… « Vous devriez d’ailleurs arrêter de le droguer et suivre un psy vous-même. » Il prit sa mallette, quelques sous, et s’en alla.

Il n’avait pas le courage de passer à son bureau à coté de chez lui. Il gardait cependant tous ces papiers dans sa voiture, puisque quasi toutes ces visites se faisaient à domicile de riches clients. Clients riches en rejetons marqués à vie par quelques scandales à étouffer. NON. Le voici à sa voiture. Papier pour le divorce. Coup de téléphone public pour reléguer ses affaires à un collègue. Ce dernier invoqua le besoin d’une raison grave et partit dans un monologue. Personne ne veut le laisser partir visiblement… pour lui ajouter des clous sur sa croix… « Bon écoute, Peter, je fais mes valises, je t’enverrai mes dossiers, quant à une raison, demande à Emile De la Dime et je t’envoie une note, il doit consulter ». Il raccroche au nez du Peter, bim. « De la Dime… Usurier de générations en générations » grommela-t-il.
Et il met le contact. Et là toute sa raideur s’aplatit. Tout son mécanisme de robot s’enraya. Il s’écroula. Il n’avait jamais connu un tel flot de sentiment depuis fort longtemps et n’en a plus connu depuis. Il pleura, de joie de haine, de douleur, de peur, de fatigue et finalement s’endormit, un torrent de larme plus tard. Il se mit en route à l’aube vers une nouvelle vie.

Les années qui suivirent furent pauvres. En contenu comme en économies. Il ne souhaitait plus vivre richement de toute façon. Ah oui il a quand même brûlé son diplôme. Et garde les cendres dans son cendrier comme souvenir. Et s’est fait un nom comme psychanalyste grâce à son passé, et au peu de collègues qui ne lui ont pas totalement tourné le dos. Il faut bien vivre, et puis ça reste sa passion… il a bien compris qu’il ne se referait pas aussi.

Mais sa vie est loin d’être finie… Et aujourd’hui, Il n’attend qu’un signal pour qu’elle se relance. Il attend que quelqu’un le pousse sur une bibliothèque au mieux. Au pire l’ennui et le désespoir. Le destin est malicieux, il n’aura ni l’un, ni l’autre...